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Le Filete Porteño dans l’art décoratif argentin

fileteado Buenos Aires
Tout comme le Tango, l’art du “filete” (que l’on pourrait traduire par un “trait fin” en français) tient à la même origine migratoire de la fin du XIXe qui fabrique spontanément à Buenos Aires une identité propre, somme de la créativité de chacun qui s’applique à la nécessité de tous. Avec le Filete Porteño Buenos Aires aujourd’hui produit ce reflet historique qui selon les époques s’est dispersé puis a ressurgit. Chaque résurgence lui donne un nouvel élan adapté aux besoins, aux modes et au type d’expression. Ainsi, tout comme le Tango nait dans les bas fonds de Buenos Aires pour être sublimé par Carlos Gardel, connaitre son âge d’or dans les années 30 et 40, Piazzola qui lui donne un nouvel élan et de nouvelles sonorités…et aujourd’hui le tango électronique; le Filete Porteño connait son histoire propre.

Historique du Filete Porteño

A la fin du XIXe, il existait prêt du port de Buenos Aires (sur le paseo Colon aujourd’hui disparut) des ateliers de réparation des charrettes qui servait à transporter les marchandises. Il se dit qu’un jour deux gamins qui travaillaient dans un de ces ateliers eurent pour tâche de mettre la dernière main à la peinture de l’une de ces charrettes, toutes peintes de couleur terne et triste. Leur fantaisie infantile les pousse à donner leur touche personnelle en utilisant une peinture vive et repeindre les roues et les rayons avec de fins traits rouge.
Fier de leur ouvrage, ils n’en furent pas moins réprimés par leur patron, qui, devant la joie de son propriétaire d’avoir une charrette personnalisée, s’en ravisa et opportunément reconvertis son atelier pour ses collègues qui affluèrent pour passer commande.
L’art du filete était né, qui en reconnait la paternité aux deux gamins Vicente Brunetti et Cecilio Pascarella.
Très rapidement tous les carrossiers qui peignaient les charrettes de couleur unies durent faire fasse à une demande croissante et firent appel notamment à des lettristes français pour la décoration car ils maitrisaient la finesse et les formes.
Peu à peu se définit la technique du “fileteado” en utilisant un papier calque dument découpé pour s’en servir comme pochoir. Il peut ainsi être utilisé pour les motifs en symétrie et réutilisé.
Un art populaire qui atteignit les franges plus hautes de la société qui n’hésitaient pas à faire peindre leur sulkis, breaks et autres véhicules tiré à cheval dans les riches estancias. Seul les motifs et les couleurs variaient, abandonnant les motifs trop fantaisistes et les couleurs criardes pour quelque chose de plus sobre.
Puis les charrettes disparurent peu à peu pour laisser la place aux camions et au bus de transport en commun qui n’échappèrent pas à cet art décoratif. En plus de son usage esthétique, sa personnalisation poussée était le meilleur antivol possible. Le Filete Porteño atteint le sommet de son art avec ses codes, son vocabulaire propre et ses artistes de renommée locale.
fileteador

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L’art décoratif du Filete Porteño

Les motifs peints s’inspirent des figures des forges (dragons, oiseaux…), des sculptures ornementales (arabesques, fleurs…), de la calligraphie des publicités publiées dans les journaux (lettres gothiques). D’où la conservation de formes européennes que l’on retrouve. Et l’origine italienne de Vincente et Cecilio procurant au filete cette inspiration du style néo-classique.
Outre son style singulier, la principale et fondamentale différence du filete en comparaison avec d’autres motifs peints que l’on peut trouver ailleurs (les charrettes siciliennes par exemple) est que les couleurs sont appliquées de telle manière qu’elle donne aux motifs du volume, du relief, des effets d’ombre et de lumière . Simple mais efficace, joli, esthétique et de bon goût.

Le Filete Porteño, une identité portègne en perpétuelle recherche.

Le filete prit une telle ampleur que dans les années 70, un décret municipal de la ville de Buenos Aires interdit le filete sur les bus car les passagers n’arrivaient plus à voir avec distinction à quel numéro de ligne ils appartenaient.
D’un trait de plume, le Filete Porteño a été effacé pour un temps de l’identité collective avant de réapparaitre dans les années 80.
Cette mesure a forcé les artistes à se reconvertir, trouver d’autres supports et renouveler le genre. Certains ont trouvé un allié en tissant des liens (naturels) entre le filete et le tango dans son illustration en y incorporant des lignes plus abstraites, d’autres sont restés sur la ligne traditionnelle.
Quoiqu’il en soit, on retrouve aujourd’hui des artistes comme Alfredo Genovese ou Elvio Gervasi qui ont repris le flambeau et laisse leur créativité du Filete Porteño étendre ses formes sur de multiples supports (sol, plafond, logo, vitrine…) et, plus risqués sur des voitures ou des peintures éphémères sur des animaux et des tatouages à l’encre ou du type body-painting. De nombreuses marques (Coca-Cola, Aiwa…) utilisent localement ses couleurs et ses motifs pour orner leurs messages publicitaires.

Le Filete Porteño est aujourd’hui un art à part entière que les argentins reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine à tel point que le genre est utilisé dans tout le pays.

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