Histoire

Jacques de Liniers #3/5

Jacques de Liniers

Jacques de Liniers et l’invasion anglaise de Buenos Aires en juin 1806

La colonie espagnole et vice-royaume du Rio de la Plata avait à sa tête le marquis de Sobremonte, vice-roi depuis 1804. Ce n’était pas un mauvais administrateur; il avait gouverné avec assez d’équité ; mais il était absolument au-dessous de la tâche difficile qui venait de lui incomber. Dès l’année précédente, la cour de Madrid, effrayée du départ de la flotte du commodore Popham pour les mers du Sud, lui avait donné l’ordre de se tenir en garde contre une descente des anglais. Il avait fait, à cette époque, quelques préparatifs très insuffisants ; puis, sur la nouvelle que le commodore Popham s’était emparé du Cap, il avait cru le danger conjuré et avait interrompu ses armements.

L’arrivée inopinée de l’escadre anglaise le prit donc complètement au dépourvu et lui fit perdre la tête. Il ne sut prendre aucune mesure utile et se borna à appeler sous les armes les milices qu’il avait eut le tort de ne pas exercer en prévision du danger qui lui avait été signalé.

Première invasion anglaise en  juin 1806

La plus grande partie des troupes régulières avaient été concentrée à Montevideo. Le commodore Popham avait d’abord songé à attaquer cette place. Il changea d’avis en apprenant par un pilote anglais que Buenos Ayres, qui n’avait pas d’enceinte fortifiée, n’était défendu que par un petit nombre de soldats espagnols. Il remonta donc le fleuve, et  après une fausse démonstration contre la baie de Barragan (sud de Buenos Aires), dont la défense avait été précisément confiée à Liniers, il débarqua le 25 juin sa petite armée au port de Quilmès à cinq lieues de Buenos Ayres, (25km au sud de Buenos Aires NDLR). Quelques marins pris dans les équipages de l’escadre avaient porté à 1600 ou 1800 hommes l’effectif du corps de débarquement, dont l’artillerie se composait de quatre pièces de campagne. Ce fut avec une poignée d’hommes que l’intrépide Beresford osa s’attaquer à une ville dont la population ne devait pas être inférieure à 50 000 âmes.

Buenos Aires 1806

Le général anglais, après avoir employé l’après-midi du 25 juin à assurer sa base d’opérations en établissant fortement une centaine d’hommes à Quilmès, se lança résolument en avant dès le matin du 26. Rien ne put faire obstacle à sa marche, ni la longue plaine marécageuse qu’il fallut traverser en ayant de l’eau jusqu’aux genoux, ni les attaques d’un corps de 1000 cavaliers, soutenus par une batterie de 6 pièces, qui chargea les anglais à la sortie du marais.

Quatre des six pièces furent prises, et la cavalerie fut poursuivie l’épée dans les reins jusqu’à un cours d’eau, le Riachuelo, trop profond pour être traversé à gué, qui couvre au sud de la ville de Buenos Ayres. Les fuyards ayant brûlé le pont, Beresford dut faire halte le soir.

Le 27 au matin, il franchit la rivière sous le feu des milices qu’il culbuta sans peine, et dans l’après-midi, il entrait dans la capitale de la Plata tambours battant et bannières déployées, et s’installait dans la forteresse dont le gouverneur lui ouvrait les portes sans coup férir.

Le marquis de Sobremonte n’avait pas attendu les anglais. A peine avait-il appris qu’ils avaient passé le Riachuelo qu’il avait réunit 1500 cavaliers et s’était enfui du côté de Cordoba. Où il s’était fait précéder par sa famille et son trésor. Il laissa au commandant du fort le triste devoir d’obtenir du vainqueur la meilleure capitulation possible. Buenos Ayres capitule en effet le 02 juillet.

Elle fut ce que voulut Beresford, qui prit possession de la ville au nom de Georges III et obligea les autorités à prêter serment à son souverain et à faire revenir, pour le lui livrer, le trésor emporté par le vice-roi. Une proclamation apprit aux habitants qu’ils avaient changé de maître. Le vainqueur y promettait de respecter les propriétés privées et accordait le libre exercice de la religion catholique. Il annonçait, en même temps, que Buenos Ayres pouvait désormais trafiquer librement avec les colonies anglaises.

Cette proclamation ne produisit pas du tout l’effet sur lequel avaient compté Popham et Beresford. Ces deux chefs, je l’ai dit plus haut, avaient été mal renseigné sur la disposition de la population. Bien que les créoles n’aimassent guère la domination le la métropole, qui, d’ailleurs, se faisait peu sentir, excepté dans les questions douanières, ils la respectaient par la force de l’habitude ; de plus les Espagnols européens exerçaient encore sur eux une grande influence. Cette influence avait été bien été un peu ébranlée par la défait qu’on venait de subir ; mais les créoles, habitués à la soumission, n’avaient pas encore acquis le sentiment de leur propre force, et ils se dirent que maître pour maître, autant valait obéir à celui qu’ils connaissaient et auquel ils étaient unis par la communauté d’origine, de religion et de langue, qu’à un envahisseur étranger qui venait de s’imposer par la force et qui était l’ennemi de leur foi.
Jacques de Liniers

Reconquête de Buenos Aires par Liniers (juillet-août 1806)

Il se produisit donc assez rapidement dans cette population impressionnable, un moment abattue par sa défaite, un très vif mouvement de réaction. En comptant le petit nombre des vainqueurs et en le comparant aux forces locales, on s’indigna d’avoir été aussi facilement vaincu. La honte colora les fronts, et la colère envahit les cœurs ; une sourde agitation régna bientôt dans la ville, et l’on chercha à se concerter. Cette fermentation n’échappa pas à l’œil vigilant de Beresford, qui comprenait mieux que personne combien sa position pouvait devenir périlleuse. Le commodore Popham avait bien demandé des secours en Angleterre en y envoyant les trésors arrachés à la faiblesse de Sobremonte, mais ces secours ne pouvaient pas arriver de longtemps. Le général anglais ne pouvait donc compter jusqu’à nouvel  ordre que sur les forces dont il disposait. Il les concentra dans la forteresse, prêt à réprimer avec la dernière rigueur toute tentative de soulèvement qui viendrait à se produire.

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Sur ces entrefaites, Liniers arriva à Buenos Ayres. Il venait y voir sa famille avec l’autorisation de Beresford. Par suite d’un oubli, il n’avait pas été compris dans la capitulation et se trouvait libre de tout engagement. Seul des chefs espagnols, il n’avait pas perdu de son prestige. Tous les regards se tournèrent vers lui, et on lui demanda de prendre la direction du mouvement pour chasser les anglais.  Dès qu’il se fut rendu compte de l’irrésistible ardeur dont était animée la population, il résolut de tenter l’entreprise ; mais comme il était aussi prudent que brave, il voulut en assurer le succès en s’appuyant sur un petit noyau de troupes régulières.

Sans perdre de temps, il passa, à l’insu du général anglais, sur la rive orientale du rio de la Plata. Arrivé au pot de la colonie du Saint-Sacrement (Colonia del  Sacramento), situé en face de Buenos Ayres, il écrivit au gouverneur de Montevideo, Pascual Ruiz Huidobro, qu’il se faisait fort de reprendre la capitale si on voulait lui confier 500 hommes. Cet officier préparait lui-même une expédition. Il appela Liniers auprès de lui. Dès son arrivée, un conseil de guerre fut réuni. Les Anglais ont un proverbe qui dit que jamais conseil de guerre ne décida à combattre. Liniers fit mentir le proverbe. Sa persuasive éloquence entraina tout le monde. L’expédition fut résolue. Le gouverneur devait la diriger. La nouvelle que l’escadre anglaise se préparait à bombarder Montevideo l’empêcha de s’éloigner. Il dut donc confier le commandement à Liniers, en lui donnant un petit corps de 600 hommes composé d’un noyau de soldats réguliers, d’une centaine de miquelets catalans et de trois compagnies de miliciens exercés.
Liniers eut bientôt fait ses préparatifs. Le 23 juillet, il quitta Montevideo avec ses 600 hommes et quelques pièces de campagne. Des pluies torrentielles entravèrent sa marche. Il parvint le 28 seulement à Colonia del Sacramento, où l’attendaient une flottille de bâtiments légers de guerre et de transport, sous le commandement du capitaine de frégate don Juan Gutierrez de la Concha. Il apprit dans ce port qu’un soulèvement s’était produit la nuit du 31 juillet à Buenos Ayres, mais il avait été promptement réprimé par Beresford.
Une soixantaine de miliciens, équipé par la colonie, vinrent grossir sa petite armée. Confiante dans son chef, elle était animée d’un indescriptible enthousiasme. Liniers lui rappela dans un ordre du jour énergique qu’il voulait être obéi, et que ce que n’était qu’à ce prix qu’il pouvait triompher d’un ennemi aussi brave que discipliné.
Le vaillant capitaine fit lire l’ordre du jour à sa petite armée qui se terminait ainsi:

“…Soldats, courez à l’ennemi et faites retentir sur nos forts les noms de Dieu et du roi. A votre tête marche Liniers, il ne recule jamais!”.

Le 04 août, la flottille repousse les attaques d’une caravelle anglaise et jette l’ancre en vue de Buenos Ayres. La troupe et l’artillerie prennent terre. Le 09 août, Liniers arrive sur les hauteurs qui dominent la ville.
Avant de livrer bataille, il écrit au général anglais :

Général, il y plus d’un mois, Votre Excellence est entrée dans cette capitale. Vous avez attaqués avec de faibles troupes une population nombreuse à laquelle à manqué la direction pour s’opposer à vos projets. Aujourd’hui, pleine d’enthousiasme, elle secoue un joug odieux et me fait vous adresser cet avis :
Quinze minutes vous sont accordées pour prendre le parti ou d’exposer votre garnison à une entière destruction ou de vous livrer à la discrétion d’un ennemi généreux.

Beresford dédaigna cette sommation. Il supposait son adversaire trop faible pour remporter la victoire. Liniers commença l’attaque.
Aussitôt, écrit l’historien Funès, contemporain de ces événements, on vit tous les habitants rivaliser de zèle et de courage : les femmes elles-mêmes combattaient à côté de leurs maris ou de leurs frères, et les enfants à côté de leurs pères.
L’enceinte fut forcée. Les anglais, chassés de leurs abris, délogés des maisons où ils se retranchaient, forcés dans le dernier asile où ils avaient été acculés, arborèrent le drapeau blanc.
Buenos Ayres était délivré. 1200 prisonniers, 26 canons, 4 obusiers, 15 millions de butin furent les trophées des vainqueurs. 400 cadavres anglais jonchaient les rues de la cité : les Espagnols n’avaient eu que 180 tués ou blessés.

Le retentissement de cette victoire fut immense. A Lima, le travail cessa et, le soir, la ville fut illuminée. Au fond de leurs districts de Pampas, les caciques indiens apprirent cette grande nouvelle et vinrent féliciter, dans leur langage imagé, les Conseils de la Ville. Liniers fut élevé au grade de capitaine général de la vice-royauté. L’audience royale prit la direction civile du gouvernement.

Jacques de Liniers – première partie – 1753-1792
Jacques de Liniers – deuxième partie – 1792-1806
Jacques de Liniers – troisième partie – 1806
Jacques de Liniers – quatrième partie (1807)
Jacques de Liniers – cinquième partie -1807-1810

Sources:
Jacques de Liniers par le Marquis de Sassenay, Paris 1892
Les Contemporains, N°852, Paris 1909

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