Géographie de l’Argentine


Avec Sébastien Velut, Géographe et Directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine qui s’intéresse aux enjeux et aux complexités de l’intégration géographique et économique de la partie Sud du continent sud-américain, peu d’ouvrages sont publiés sur le sujet. “Géographie de l’Argentine, Approche régionale d’un espace latino-américain” dont nous publions ci-dessous son introduction, propose une synthèse qui manquait pour connaitre et apprécier l’Argentine actuelle. Les auteurs ont privilégié certaines perspectives, certains angles de vue. Ils n’ont pas eu la prétention d’être exhaustifs mais transmettent des clés pour aider à la compréhension de l’Argentine.

Paru en 2005 aux éditions PUR (Presses Universitaires de Rennes), cet ouvrage de 191 pages comporte des textes synthétiques et s’appuie sur une documentation abondante et variée. Les entrées, tantôt thématiques, tantôt régionales, conduisent à des approches croisées de l’espace argentin.
Un vrai travail universitaire qui permet d’éluder une partie de la complexité de l’Argentine restée orpheline de ses parents européens, tour à tour se libérant de la tutelle espagnole pour devenir amant de l’Angleterre et se retrouver délaissée à la suite de la Grande Guerre.
Replacé dans le contexte de sa parution en 2005, soit 4 ans après une crise économique profonde, ce document reste cependant d’actualité dans une Argentine de 2012 qui n’est jamais vraiment exempt de soubresauts.

Au-delà des images que l’on associe volontiers à l’Argentine et des mythes qui s’y réfèrent, le pays reste très largement méconnu des Européens :
Terre des grands espaces, certes, qu’illustrent les simples mots de « Pampa » ou de « Patagonie » ; terre du bout du monde, quelque part aux confins de l’Amérique du sud, dans ce cul-de-sac continental qui s’arrête à la Terre de Feu;
Terre d’Europe, d’une certaine façon, par sa population et sa culture, sa capitale et son mode de vie…

Mais la fascination que semble exercer l’Argentine s’appuie davantage sur une vision folklorique et passéiste du pays (sans doute symbolisée par le tango ou le personnage du gaucho), sur le souvenir de la prospérité économique de la première moitié du XXe siècle, que sur une connaissance véritable de l’actualité de ce lointain et discret pays de l’hémisphère sud.
L’Argentine pourtant impressionne car elle est à l’échelle du continent américain : par sa superficie, son étirement en latitude, par l’étendue de ses plaines et de ses plateaux, par les altitudes vertigineuses de ses sommets andins et la puissance du fleuve Paraná…

Derrière ces images simples se cache une Argentine complexe et difficile à cerner.
Sa géographie n’est pas aussi élémentaire que ses immenses étendues planes le laisseraient supposer; sa population, issue pour l’essentiel de flux migratoires en provenance d’Europe, ne présente pas l’homogénéité qu’on aurait tendance à imaginer. Son économie, longtemps basée sur l’exploitation agro-pastorale de la Pampa, est plus diversifiée qu’on veut bien le croire.
Enfin, ses allures de pays développé dissimulent des situations économiques ou sociales alarmantes, comparables à celles de tant de pays du Tiers Monde…

Cette méconnaissance, les Argentins la perçoivent et s’en offusquent logiquement.
Ils souffrent d’un manque de reconnaissance de la part des pays les plus avancés.
Il est vrai que l’Argentine est située en marge des principales zones d’intérêt géostratégique. Elle se trouve dans un angle mort de l’agitation mondiale. Ceci explique son apparente discrétion dans le tumulte des relations internationales actuelles.
Seule la crise économique qui a ravagé le pays l’a placé bien malgré lui sous le feu des projecteurs.

Les principaux centres décisionnels, politiques, économiques et financiers du monde sont à 10 000, 15 000 ou 18 000 km de Buenos Aires, laissant aux Argentins un rôle d’observateurs, pour ne pas dire de spectateurs.
Mais ici comme ailleurs, la mondialisation des échanges et de l’information, qui ne connaît ni les distances ni les frontières, les rattrape et les sort de leur isolement relatif.

Le pays est également marqué par les inégalités spatiales et les déséquilibres régionaux:
La capitale fédérale rassemble un tiers de la population, l’axe Buenos Aires – Rosario en représente la moitié, tandis que « l’Argentine du vide » couvre d’immenses espaces en direction de l’ouest et du sud; la capitale concentre aussi l’essentiel des activités économiques du pays et des richesses produites ; les écarts de développement d’une province à l’autre sont d’autant plus importants qu’on gagne les périphéries, tout spécialement celle du nord-ouest.
Le niveau de développement socio-économique, d’équipements, d’éducation y est nettement plus faible qu’à Buenos Aires.

Le pays tout entier vit au rythme de la respiration de la grande métropole, et malgré l’organisation provinciale, la dépendance est totale vis-à-vis de la capitale fédérale.
L’espace argentin porte l’empreinte d’une longue exploitation au service de la ville portuaire, tout entière tournée vers les grands marchés internationaux d’Europe, d’Amérique du nord et d’Asie.
Le problème majeur du pays réside, depuis un demi-siècle, dans sa difficulté à s’adapter aux évolutions du monde moderne. Les dernières décennies sont marquées par autant de rendez-vous manqués, de chances gâchées, de virages économiques mal négociés. La corruption généralisée des élites politiques et leur incapacité à mener les réformes nécessaires ont coupé les dirigeants argentins de la population qui a assisté, impuissante et désemparée, au chaos économique et social que l’on connaît.

Dans ce contexte difficile, l’Argentine se reconstruit peu à peu. Elle tente de prendre de nouveaux repères dans un environnement de plus en plus mouvant.
Quelles en sont les conséquences sur le plan de l’organisation spatiale du territoire ?
Autour de quels éléments structurants, anciens ou nouveaux, le pays s’efforce-t-il d’élaborer une stratégie de développement ?
La suprématie de Buenos Aires n’est-elle pas remise en cause par la défiance à l’égard du pouvoir central, tandis que s’affirme un mouvement d’intégration régional, dans le cadre du Mercosur*, donnant du même coup aux périphéries argentines un rôle qu’elles n’attendaient plus ?

Surmontant ses vieux démons, l’Argentine s’ingénie, non sans atouts, à affirmer sa présence dans les enjeux contemporains.
Dans cette quête existentielle, c’est aussi son identité qu’elle recherche : entre les liens distendus avec l’Europe, dont elle se veut pourtant si proche, et une intégration à l’espace latino-américain, qu’elle a longtemps négligé, son regard se porte finalement, de façon pragmatique, vers ses voisins immédiats.
Son développement est irrémédiablement lié au leur. La synergie dégagée de cette coopération régionale ne peut qu’aider l’Argentine à sortir de ce mauvais pas.

*MERcado COmun del SUR, marché commun du sud qui regroupe l’Argentine, l’Uruguay, le
Brésil et le Paraguay.

Géographie de l’Argentine
Approche régionale d’un espace latino-américain
Les auteurs:
Nicolas Bernard, Yvanne Bouvet et René-Paul Desse sont enseignants-chercheurs en géographie à l’université de Bretagne occidentale. Leurs travaux portent notamment sur l’espace littoral argentin, auquel ils ont consacré de nombreux articles. Ils interviennent régulièrement dans plusieurs universités argentines, dans le cadre de conférences ou de cours de géographie.
Disponible sur Chapitre.com ou aux Presses Universitaires de Rennes