Agustin Pichot : «Nous sommes des romantiques»

Les Pumas mettent leur patte dans la coupe du monde rugby 2007. Après avoir griffé les français en match de poule, ils s’invitent en demi-finale en laissant à  terre une autre de leur proie. Les Pumas entrent par la grande porte dans le quarteron des meilleurs équipes du monde et affirment leur volonté d’être (enfin) reconnus par les instances du rugby mondial. Détail significatif, entendu sur une chaîne de radio française le journaliste parlait de disparition de l’hémisphère Sud en cas d’élimination des Sudaf…mais revenons sur l’emblématique capitaine de cette équipe des vaillants Pumas au travers d’un article du Figaro, propos recueillis par Sébastien Lapaque, jeune et brillant écrivain-journaliste, passionné d’Amérique du Sud.
Capitaine du Stade Français champion de France en juin 2007 à  Saint-Denis, lider maximo des Pumas argentins, Agustin Pichot aime les livres depuis toujours. Nous l’avons invité à  nous en parler.

Dans vos interviews, il vous arrive assez fréquemment d’évoquer un livre ou un souvenir de lecture. La tradition littéraire du rugby donc se perpétue malgré le passage au professionnalisme?
Pour moi, c’est quelque chose de naturel, j’ai toujours vécu entouré de livres. Durant mes études, j’ai beaucoup lu. Des romans, mais surtout des essais et des livres d’histoire. C’est en lisant des biographies de Napoléon et de Charles de Gaulle que j’ai connu la France. Et puis il y a eu la découverte de l’existentialisme et des œuvres de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui restent très importants en Argentine. Leur lecture fait partie de toute éducation intellectuelle soignée chez nous. On les lit avec les grands philosophes, notamment les Grecs qui m’ont passionné adolescent. Je les ai lus en espagnol, mais comme avec Platon ou Aristote, la fierté aurait été les lire en langue originale. Malheureusement, c’est trop difficile pour moi en français. Pour ce qui est de la littérature, j’aime beaucoup Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, même je ne suis pas vraiment un amateur de fictions.

Il vous a échappé que la littérature argentine a produit de prodigieux raconteurs d’histoire?
Non (rires)! Je connais Adolfo Bioy Casares et Julio Cortazar, je sais que Tomas Eloy Martinez est un des grands romanciers argentins, mais je dois vous avouer que je ne l’ai pas lu. Mon goût me porte plutôt vers les livres d’histoire. La seule exception, c’est Jorge Luis Borges, mais lui c’est autre chose. C’est mon auteur favori. Je place l’Aleph au-dessus de tous ses livres, même si j’aime tout chez lui. J’ai ses œuvres complètes en trois tomes chez moi à  Paris et j’ai beaucoup de plaisir à  les relire. Je ne les vois pas avec les mêmes yeux que lorsque j’étais étudiant. En fait, je commence tout juste à  comprendre… Son castillan très pur, très classique donne une apparence de simplicité, mais son univers à  la fois aristocratique et poétique est totalement déroutant. Son jeu bizarre avec les images et les références fait qu’on n’a jamais fini de le lire. Il y a dix ans, c’était très confus pour moi. Aujourd’hui, cela commence à  s’éclairer. Et puis il y a toute sa nostalgie de Buenos Aires qui me parle.

La littérature argentine n’a pas d’écrivains du rugby ?
Notre littérature a du mal avec tout ce qui est sentimental chez nous. Non seulement le rugby, mais aussi la guerre des Malouines, le football… Mais il y a chez nous des liens parfois inattendus entre la littérature et le rugby. Savez-vous que Victoria Ocampo, qui fut l’amie de Borgès et la grande dame des lettres argentines, a légué les vastes terrains de sa maison au CASI, mon club de San Isidro, où Ernesto Guevara a joué demi de mêlée ? Le rugby, en Argentine, a longtemps été le sport d’une aristocratie qui voulait jouer au même sport que les Anglais mais qui avait des bibliothèques françaises.
Depuis Martin Fierro de José Hernandez et Adan Buenosayres de Leopolodo Marechal, la littérature argentine est hantée par le mythe du gaucho et de sa vie sauvage dans la pampa.

La singularité du rugby argentin aurait-elle quelque chose à  voir avec ce mythe ?

Martin Fierro, c’est la célébration de la pampa argentine et de son immensité déserte, dans les territoires qui furent ceux des Indiens. Rien à  voir avec Buenos Aires. José Hernandez a fait une œuvre sublime, je l’ai naturellement dans ma bibliothèque, mais je ne suis pas habité par le sentiment tragique de son héros, sa solitude, sa fierté et sa tristesse. C’est trop rustique pour moi. Ma mythologie, ce sont, plutôt les danseurs de tango. Je suis un homme de la civilisation des villes. Voilà  pourquoi Jorge Luis Borges me parle lorsqu’il évoque le tango, les conversations dans les cafés, le dessin compliqué des rues de Buenos Aires. C’est autour de cette façon d’être porteña, qui traverse notre littérature, que s’est élaborée la culture du rugby argentin. Quelque chose de fier et de fragile, de mélancolique, avec des influences italienne, anglaises et françaises à  la fois. Notre rugby est romantique. Nous sommes à  la fois les héritiers du gaucho, du général San Martin et d’Ernesto Guevara !

Propos recueillis par Sébastien Lapaque